Il était une fois… l’université de Bourgogne
En ce temps-là, une ancienne capitale ducale se trouvait fort dépourvue. La malheureuse se désolait en effet de n’avoir ni évêché, ni Université. Pour le premier, il fallut attendre 1733 ; pour la seconde, l’heureux événement se produisit en 1722. De longue date, on préparait ce moment, et grâce à ses deux protecteurs, le Parlement de Bourgogne et le gouverneur de la province, le prince de Condé, la Ville de Dijon pouvait légitimement espérer. Mais la gestation avait été difficile ; et sans doute de mauvaises fées avaient-elles conspiré dans l’ombre car le Souverain n’autorisa finalement qu’une Faculté de droit. À sa naissance, la pauvre enfant paraissait donc un peu chétive. Quant aux autres disciplines, elles durent être prises en charge par une bonne marraine, l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon.
Bernard Pouffier
Naissance d'une faculté
Louis II (le grand Condé, alors Duc d’Enghien) et son arrière-grand père Henri II en 1638-1639
Mais le pire était à venir
Mais le pire était à venir quand, en 1793, les établissements d’enseignement supérieur durent fermer. À peine plus de soixante-dix ans après le début de l’aventure, tout semblait perdu. Heureusement, la parenthèse fut de courte durée. Dès 1808, notre héroïne reprenait vie avec la réouverture de la Faculté de droit. Et très vite cette dernière se trouva entourée d’une fratrie puisqu’en 1809 naquirent une Faculté des Sciences et en 1810 une Faculté des Lettres. Mais il fallut longtemps se contenter d’une École pratique de médecine et de pharmacie puisque la Faculté de médecine se fit attendre jusqu’en 1967. Tout alla d’ailleurs si vite que les nouvelles venues durent se satisfaire de logements de fortune, toujours situés dans le cœur historique de la ville.
1896 les facultés deviennent l’université
Cependant, pendant une bonne moitié du XIXe siècle, ces Facultés eurent peu de succès (stagnation des effectifs, suppression de certaines chaires…). Tout changea dans les dernières décennies : Dijon se trouvait en plein essor démographique (grâce à la ligne PLM), et pour la IIIe République l’enseignement était une priorité. Le couronnement tant espéré advint en 1896 quand, grâce à une nouvelle loi, les différentes Facultés formèrent enfin une Université. Événement célébré comme il se devait par toutes sortes de festivités au début de 1897. Sur pareille lancée, on décida enfin d’offrir à la nouvelle Université des locaux dignes d’elle, dont le fleuron est la Faculté des Lettres (achevée en 1914).
Si les années 1900 avaient été favorables, il en alla autrement de l’entre-deux-guerres. En 1922, on s’apprêtait à célébrer le bicentenaire de notre héroïne quand le bruit se répandit que sa fin était proche. En effet, sur décision du Prince (le Ministère), un certain nombre d’Universités devaient disparaître l’année suivante. Et parmi elles, l’Université de Dijon. Comme dans les pires mélodrames, la malheureuse allait s’éteindre le jour de son anniversaire, ou presque. Heureusement, la résistance s’organisa.
En invitant en 1923 le Président de la République (Alexandre Millerand) à inaugurer des bâtiments qui, en principe, allaient être désaffectés, on obligea le Ministère à reculer. Mais ce n’était que partie remise, car en 1934 tout recommença : une nouvelle menace de fermeture, une belle résistance, et pour finir un nouveau sursis. En dépit de ces coups du sort, notre héroïne se dépensait sans compter : bonne mère, elle nourrissait maintenant ses étudiants et elle les abritait (la cité Maret ; le foyer des étudiantes) ; et elle accueillait de nombreux étrangers, venus parfois de très loin. Malgré tout, l’avenir restait incertain.
Alexandre Millerand
Le destin allait encore frapper
En effet, le destin allait encore frapper. Le 30 décembre 1945, le Père Noël était à peine passé qu’on vit arriver le Père Fouettard. Tapi au sein d’un projet de loi, un article perfide prévoyait de priver Dijon et Besançon de leurs Facultés des Sciences. Heureusement, la ruse fut éventée. L’inénarrable chanoine Kir monta au créneau et le Ministère battit à nouveau en retraite. Mais une fois de plus l’alerte avait été chaude. Marcel Bouchard, le nouveau Recteur, arrivé en 1946, retint la leçon. Il comprit que notre héroïne, à l’étroit dans des locaux mal adaptés, était vouée à dépérir. Il décida alors de lui faire respirer l’air du dehors et de lui bâtir le palais qu’elle méritait, à savoir un campus. En véritable chevalier servant, il batailla sans relâche pour sauver sa Princesse. Si bien qu’en 1957 on put inaugurer la Faculté des Sciences, première achevée. Le campus voyait maintenant le jour ; et ce fut là une seconde naissance, à mesure que les bâtiments se multipliaient : les différentes Facultés, enfin réunies (dont pour la première fois une Faculté de médecine, en 1967), des bibliothèques, des IUT, des restaurants, des résidences universitaires, etc. Une fois dans son nouveau royaume, notre héroïne retrouva la santé et prospéra au-delà de toute espérance (des étudiants en grand nombre ; des formations diversifiées).
Le chanoine Kir
Le recteur Marcel Bouchard
Françoise Moret-Bailly
À la suite de mai 1968, elle éprouva le besoin de s’émanciper. Comme à ses consœurs, on lui offrit alors la possibilité de se choisir un Président ; c’est ce qu’elle fit en 1971, sauf que, seule dans ce cas, elle désigna une Présidente (Françoise Moret-Bailly). Puis, comme dans les contes, on assista à une série de métamorphoses. C’est ainsi qu’en 1984 l’Université de Dijon devint l’Université de Bourgogne. Car en même temps qu’elle accueillait sur le campus de nouvelles structures, elle s’ancrait dans l’ensemble du territoire grâce à une série de sites.
Pourtant, dans les premières années du XIXe siècle, notre héroïne commença à se lasser de sa solitude, si bien que, à la recherche de l’âme sœur, elle renoua avec sa voisine, l’Université de Besançon. Les retrouvailles allant bon train, on commença bientôt à parler de mariage. Mais c’était oublier qu’un célibat de plusieurs siècles laisse des traces. À des épousailles en bonne et due forme (une fusion), on préféra donc, en 2013, s’en tenir à des fiançailles (une structure fédérale).
Aujourd’hui, après tant de vents contraires, la jeune tricentenaire attend sans crainte ses prochains anniversaires, assurée qu’ils seront à la fois nombreux et heureux